Guerre économique

La guerre économique est un concept polysémique qui peut renvoyer à plusieurs définitions ...


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La guerre économique[note 1] est un concept polysémique qui peut renvoyer à plusieurs définitions :

La guerre économique chez les mercantilistes

Le concept de «guerre économique» reste assez flou et ne peut être attribué à tel ou tel courant de pensée sans en négliger certaines subtilités. Quoique quelques mercantilistes admettent les bienfaits du commerce extérieur, le concept de guerre économique trouve ses fondements dans cette pensée qui domina l'économie du XVIe au XVIIIe siècles. On sert à désigner, le plus fréquemment de façon péjorative, du terme «néo-mercantilistes» les personnes prônant que le commerce international relève d'une «guerre économique».

Cette période est marquée par une montée de la puissance maritime du Royaume-Uni et des Provinces Unies, qui cherchent à développer de nouvelles règles économiques qui leur soient plus favorables, tandis que les puissances d'Europe du Sud (Espagne et Portugal) bénéficiaient d'un monopole avec le traité de Tordesillas (1494) lors des grandes découvertes à la fin du XVe siècle et au XVIe siècle. Après la création de la Compagnie anglaise des Indes orientales par l'Angleterre (1600) puis la riposte des Provinces Unies avec la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (1602), la France réagit à son tour par la création de la compagnie française des Indes orientales (1664).

C'est dans ce contexte de guerre commerciale que le juriste néerlandais Hugo Grotius fonda le droit international. [6]

Cette guerre commerciale intra-européenne ne doit par conséquent pas faire oublier l'importance du droit international dans la naissance de rivalités entre puissances économiques.

L'économie au service de la guerre

A la suite de Machiavel, la majorité des penseurs mercantilistes voient dans l'économie l'art d'enrichir le Prince[7] et le royaume, dans une optique de puissance, c'est-à-dire une optique militaire. [8]

Ainsi le mercantiliste français Antoine de Montchrestien explique en 1615 :

«Il est impossible de faire la guerre sans hommes, d'entretenir des hommes sans soldes, d'apporter à leur solde sans tributs, de lever des tributs sans commerce.»[9]

Ainsi pour accroître la puissance du Prince en lui servant à mener la guerre, il est essentiel de développer le commerce national, et de combattre le commerce étranger. L'objectif est double : il faut que le Prince ait davantage d'or, et que les Princes étrangers en aient moins. Dans cette optique, l'économie nationale à une vocation guerrière. Jean-Baptiste Colbert précise : «Les compagnies de commerce sont les armées du roi, et les manufactures sont ses réserves». L'objectif de ses «armées» et de repousser les «armées» étrangères. Ainsi pour souligner cette haine du commerce étranger, Antoine de Montchrestien déclare :

«Les marchands étrangers sont comme des pompes qui tirent hors du royaume […] la pure substance de nos peuples […] ; ce sont des sangsues qui s'attachent à ce grand corps de la France, tirent son meilleur sang et s'en gorgent»

La guerre au service de l'économie

L'idée que la guerre puisse être un facteur de croissance économique a été à l'origine développée par les mercantilistes. [10]

Pour gagner la guerre économique, les mercantilistes préconisent l'expansion militaire, non contre les puissances adverses seulement, mais contre des nations tierces. Pour limiter la dépendance vis à vis des marchands étrangers, il est indispensable d'annexer les territoires qui apporteront les richesses dont la métropole ne dispose pas. Les mercantilistes préconisent par conséquent l'expansion coloniale.

La dynamique de la guerre économique

Les interactions entre guerre et économie produisent une dynamique favorable à la fois à la puissance militaire ainsi qu'à la richesse nationale. Certes, les conquêtes accroissent les richesses, et les richesses accroissent les opportunités de conquêtes, mais le dispositif mercantiliste repose aussi sur des mécanismes plus subtiles. A titre d'exemple, les monopoles accordés aux compagnies nationales pour le commerce avec les colonies (comme le Navigation Act de Cromwell) permettent l'expansion de la flotte marchande du pays, et diminuent les opportunités de construction rentable de navires pour les pays adverses. Le commerce permet par conséquent la maîtrise des mers et vice versa.

Critique de la guerre économique mercantiliste

Pour les philosophes des Lumières

Les philosophes des Lumières sont parmi les premiers (précédés par quelques hommes d'État comme Vauban) a critiquer le dispositif mercantiliste. Dans De l'esprit des lois, Montesquieu veut montrer que Commerce et Paix vont toujours de pair :

Le Commerce guérit des préjugés destructeurs ; et c'est presque une règle générale, que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces ; et que partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce. […] L'effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes ; si l'une a intérêt à acheter, l'autre a intérêt de vendre ; et l'ensemble des unions sont fondées sur des besoins mutuels.» [11]

Par la suite, le philosophe David Hume s'attaquera directement à la théorie mercantiliste en tentant d'en montrer les failles théoriques. Selon les mercantilistes, le commerce international doit servir à remplir les caisses de l'État. Il faut par conséquent que la balance commerciale soit excédentaire. David Hume tente de démontrer que sur le long terme une balance commerciale est toujours globalement équilibrée[12]. Ainsi, quand une nation a une balance excédentaire, la forte de rentrée de monnaie provoque l'inflation et par conséquent une perte de compétitivité qui se traduit par une balance commerciale devenant déficitaire. La guerre économique livrée par les mercantilistes relève par conséquent pour lui d'une erreur théorique.

Chez les économistes libéraux et keynésiens

Pour les tenants du libéralisme économique, la prospérité des uns fait la prospérité des autres. La confrontation des intérêts égoïstes ou nationaux ne doit pas mener à la guerre mais à l'harmonie. Ainsi selon Jean-Baptiste Say :

«Une nation, comparé à une nation voisine, est dans le même cas qu'une province comparé à une autre province, qu'une ville comparé aux campagnes : elle est intéressée à la voir prospérer, et assurée de profiter de son opulence.»[13]

Ce fut aussi l'opinion défendue par John Maynard Keynes lors de la crise de 1929 où les gouvernements tentaient de se prémunir du chômage en l'exportant dans les pays étrangers (politique dite : beggar-my-neighbour policy). Selon lui, les mesures nuisant aux économies étrangères, nuisent en définitif à l'économie nationale.

La guerre économique dans l'optique néo-mercantiliste

Certains États ou individus, qualifiés de «néo-mercantilistes» voient dans le commerce international une guerre économique nécessitant des pratiques agressives. Leurs idées sont illustrés selon eux par les nombreuses querelles commerciales entre nations. Ainsi Elie Cohen explique :

Il y a un vieux fond mercantiliste en France qui tend à voir dans les querelles commerciales l'ombre portée de la guerre économique, ou alors de la guerre par d'autres moyens. [14]

Chez les libre-échangistes

Paul Krugman estime que le concept de guerre économique dérive de la dangereuse obsession de la compétitivité et du désir de procurer des frissons :

«Dans un premier temps, l'image de la compétition est plus excitante et le frisson fait vendre. Le sous-titre de l'énorme succès de librairie que fut l'ouvrage de Lester Thurow Head to Head est «La future bataille économique entre le Japon, l'Europe et l'Amérique» ; la quatrième de couverture annonce que «la guerre décisive du siècle a commencé […] et l'Amérique a peut-être déjà décidé de la perdre». [15]

Mais pour lui, la diffusion du concept de «guerre économique» est un vrai problème car elle menace les acquis du commerce international et risque de déboucher sur une guerre commerciale qui n'a pas lieu d'être :

«Un autre danger, bien plus grave, serait que cette obsession de la compétitivité amène à des conflits à propos du commerce international, ou alors à une véritable guerre commerciale.» [16]

Les travaux théoriques de cet auteurs ont cherché à montrer que la richesse nationale n'était pas liée à la compétitivité internationale d'un pays mais à sa seule productivité. Par conséquent l'idée que la meilleure compétitivité des pays étrangers n'a pas d'effets négatifs sur la richesse intérieure.

Ce n'est pas à la guerre économique comme compétition entre états que s'est intéressé Joseph Schumpeter mais au risque d'une compétition acharnée et par conséquent potentiellement nuisible entre entreprises. Il rejette l'idée que la concurrence exacerbée entre des entités économiques ayant pour fin la constitution de monopole ait quelque conséquence destructrice. Selon lui cette concurrence ne forme pas une «guerre au couteau» nuisant à l'intérêt général.

Les différentes pratiques actuelles selon des vues mercantilistes

Le débauchage concurrentiel

Cette pratique consiste à essayer d'embaucher des employés d'entreprises concurrentes, dans deux buts :

Le lobbying

C'est une technique de pression ou d'influence sur des décideurs (politiques, économiques fréquemment). Il peut être direct, par des interventions, ou même le soudoiement (voir : corruption), ou indirect par la création de sites web, de mailings, de communautés de pratique, de revues, d'articles orientés dans les journaux, de publicité, et par la communication sous toutes ses formes, tous moyens conçus pour influencer les mentalités.

Le lobbying est facilité par le fait que les entreprises s'adjoignent désormais les compétences d'ONG sur les questions sociétales (environnement, droits de l'homme). Cette pratique est fréquente dans le monde anglo-saxon (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Australie, Scandinavie), et facilitée par l'emploi de la langue anglaise comme langue véhiculaire.

Outre les ONG, le lobbying emploie actuellement des réseaux institutionnels comme ceux de la chambre de commerce internationale, le WBCSD, le Business Action for Sustainable Development, l'OCDE, l'OMC, le FMI, les sommets de la Terre. Il s'appuie sur l'efficacité des compte-rendus écrits rédigés par certaines personnes ou réseaux qui participent aux sommets.

Même si des dérives existent, il ne s'agit pas le plus fréquemment de méthodes malhonnêtes dans le sens qu'elles s'appuient le plus fréquemment sur des règles édictées progressivement par des organismes internationaux. Par contre, le système juridique anglo-saxon de common law s'avère plus efficace, en tous cas jusqu'à actuellement, pour adresser les enjeux sociétaux du développement durable et de la responsabilité sociétale à travers la multiplicité des parties prenantes des entreprises.

Le lobbying trouve un terrain fertile dans la mise en œuvre des nouvelles normes comptables IAS/IFRS qui intégrent dorénavant le capital immatériel.

A travers le lobbying, c'est deux cultures et deux conceptions de systèmes juridiques qui se confrontent : le droit civil qui domine en Europe continentale, et la Common law.

La normalisation

Les normes et les standards généralement (sécurité, systèmes d'information, comptabilité, traçabilité, etc. ) peuvent permettre d'atteindre certains buts mercantilistes :

La prééminence de l'anglais dans les relations internationales fait partie de cette normalisation, et est quelquefois perçu comme handicapant les pays où l'anglais n'est pas la langue maternelle (voir aussi : Académie de la Carpette anglaise), ou les zones géographiques comme l'Europe où il existe une grande diversité de langues maternelles. Aux États-Unis est né le projet Dictionnaires de jadis [17]. Le choix de l'anglais scientifique aurait du être associé à une démarche de ce type, car c'est le flou sur les définitions des langues anglaises qui donne à la manipulation la place qu'elle ne devrait pas avoir... Les exemples éclairant sont pas exemple les mots "meat", "seed" ou management.

Les normes comptables IAS/IFRS sont les normes qui ont aujourd'hui le plus d'influence sur la gestion des entreprises, et même indirectement sur les dispositifs de comptabilités publiques dans l'Union européenne. Il s'agit en effet actuellement de comptabiliser le capital immatériel constitué par les compétences des entreprises, leurs relations commerciales, leurs structures (brevets, systèmes d'information des entreprises et même des administrations). Cette comptabilisation est conçue pour être gérée à travers les immobilisations incorporelles, qui, aux dires largement d'experts, représentent 60 à 70 % de la valeur des entreprises.

Ainsi, on investit actuellement deux fois plus dans la connaissance pure (formation, conduite du changement, ... ) que dans les outils de production pure.

L'influence socioculturelle

Selon les spécialistes en intelligence économique Éric Denécé et Claude Revel, les États-Unis cherchent à se positionner en amont des marchés en jouant sur l'ensemble des techniques de l'influence, et surtout sur l'influence socioculturelle.

Se produit progressivement un formatage des idées sur le modèle américain dans bon nombre de pays d'Europe, dont la France. A titre d'exemple, au niveau des écoles de commerce, les Masters of Business Administration sont devenus la référence. Les cabinets de conseil et d'audit anglosaxons recrutent dans ce creuset.

La diffusion de films partout dans le monde sert à préparer le terrain aux implantations futures d'entreprises et rend plus facile l'installation de la domination économique[18].

Les actions humanitaires et les ONG

Ces institutions peuvent avoir une influence culturelle, économique, et politique sur les pays où elles sont implantées, et être utilisées par les entreprises comme un moyen de s'introduire dans de nouveaux pays. L'opacité surtout de leur fonctionnement a été mis en lumière par les études récentes de la fondation Prometheus présidée par Bernard Carayon et Jean-Michel Boucheron députés UMP et PS.

La contrefaçon concurrentielle

La contrefaçon est l'imitation d'un produit développé par un concurrent. Elle concerne par exemple, les produits de luxe, mais également les logiciels, les médicaments, etc.
Cette concurrence est fréquemment illégale car elle viole la propriété industrielle et les brevets.

La guerre de l'information

La guerre de l'information est le point commun de la majorité des méthodes employées actuellement (lobbying, normalisation, social learning, ... ) pour acquérir une supériorité économique en jouant sur le facteur culturel.

L'acquisition de connaissances emploie actuellement des méthodes qui ne sont pas obligatoirement malhonnêtes comme les sources ouvertes (information blanche), c'est-à-dire le recueil d'informations disponibles en source ouverte sur les réseaux internet.

La meilleure méthode pour se prémunir d'un pillage systématique est d'adopter une attitude toujours prudente et non naïve, et de bâtir des réseaux extranet en accès restreint pour les communautés de pratique qui ne concernent que certaines parties prenantes de l'entreprise.

Bibliographie

Notes et références

Notes
  1. Terme forgé dans les années 80-90 ans par Bernard Esambert et quelques stratèges d'entreprise impressionnés par le jeu de go.
Références
  1. selon l'expression de Paul Krugman désignant les pratiques de l'OMC
  2. Exemple : «Le Blocus continental, machine de guerre économique contre l'Angleterre…» Jean Tulard, «Empire (Premier) 1804-1814», in Encyclopædia Universalis 2005
  3. Exemple : «En 1914, Rathenau devient le directeur de l'Office des matières premières, ce qui lui sert à diriger toute la guerre économique.» François-Georges Dreyfus, «Rathenau Walther (1867-1922)», in Encyclopædia Universalis 2005
  4. «Il s'agit d'entreprendre une action économique qui affaiblira l'autre partie, même au détriment de ses propres avantages économiques.» Fanny Coulomb, «Pour une nouvelle conceptualisation de la guerre économique», Guerre et Économie, in Référence Géopolitique, Ellipse, 2003
  5. Parler de «guerre» économique à propos de l'affrontement entre deux entreprises concurrentes forme aussi un «abus» de langage, qui laissera alors supposer que toute compétition ressemble à la guerre. Fanny Coulomb, op. cit.
  6. De iure prædæ, Sur le droit de capture, incluant Hugo Grotius. Mare liberum, Les Mers Libres en 1604.
  7. «Dans un gouvernement bien organisé, l'État doit être riche et les citoyens pauvres» Machiavel, Le Prince, 1514
  8. «Il faut assurer la richesse du Prince, pour lui, mais également pour financer les guerres incessantes» Michel Beaud, Histoire du Capitalisme de 1500 à 2000, cinquième édition mise à jour, Points Seuil, 1999, page 33.
  9. Antoine de Montchrestien, Traité d'économie politique, 1615
  10. «La guerre comme facteur de puissance et de développement : cette conception, dans sa forme la plus accomplie, date des mercantilistes…» Jacques Fontanel et Ron Smith, «Les économistes et la guerre», in Le Monde, 19 mars 1991
  11. Montesquieu, De l'Esprit des lois, 1748
  12. David Hume, Discours politiques, 1752
  13. Jean-Baptiste Say, Traité d'économie politique, 1803
  14. Elie Cohen, «La Guerre économique n'aura pas lieu» (dans Guerre (s) et Paix, CNRS Thema 2e trimestre 2004), [1]
  15. Paul Krugman, La Mondialisation n'est pas coupable, La Découverte/Poche, 2000, pages 30-31
  16. Paul Krugman, op. cit., page 33
  17. ARTFL dictionary collection
  18. Éric Denécé et Claude Revel, l'autre guerre des États-Unis, économie : les secrets d'une machine de conquête, page 165


Voir aussi

Liens externes

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